Ancien directeur de l'OFAG, Hans Burger plaide ouvertement pour un accord de libre échange agricole (ALEA) avec l'UE. Interview.
Agri: Vous êtes un fin connaisseur de la politique agricole suisse pour avoir dirigé pendant de nombreuses années l'OFAG, quelle mouche vous a piqué pour que vous proposiez de tous "casser", avec un ALEA, ce que vous avez construit patiemment pendant des années?
Hans Burger: Ma proposition part du principe que la défense du statut quo n'est ni politiquement, ni économiquement envisageable. Le postulat de base est que si nous ne changeons rien, le contexte autour de nous va continuer d'évoluer avec ou sans notre consentement. Se battre pour les acquis actuels, en pensant maintenir la situation comme elle est aujourd'hui, est une illusion.
C'est justement pour maintenir une agriculture productive et développer ce qui a été construit patiemment pendant des années qu'un accord de libre échange pour tout le secteur agroalimentaire avec l'UE me semble une stratégie appropriée. Un premier pas avait d'ailleurs été fait dans cette direction avec PA 2002 et le libre échange pour le secteur fromager concernant environ la moitié de la production laitière.
Il serait donc tout à fait logique de poursuivre maintenant dans cette voie, mais en incluant les secteurs amont et aval de l'agriculture et en prévoyant des mesures d'accompagnement pour franchir ce pas décisif. C'est une façon, la seule réaliste, de redonner des perspectives à une agriculture productive dans notre pays.
Les détracteurs d'un ALEA, chiffres à l'appui, démontrent que les conséquences d'un tel accord pourrait allez jusqu'à la disparition du revenu agricole, qu'avez-vous à leur répondre?
De telles affirmations, se basant sur une appréciation purement statique et intellectuellement malhonnête, relèvent de la pure démagogie et partent de l'idée que l'agriculture et le secteur alimentaire auraient perdu toutes capacités de réagir et de s'adapter face à un tel défi.
Les conséquences sur le revenu d'un tel accord dépendent justement fortement de ces capacités. L'important est qu'il inclue également les secteurs en amont et en aval et qu’il offre des chances de maintenir la production et la transformation au pays. Voire de conquérir des parts de marché auprès de consommateurs se trouvant autour de la Suisse.
Ce n'est le cas ni avec l'OMC, ni avec d'autres accords bilatéraux avec des pays lointains desquels il sera de plus en plus difficile d'exclure l'agriculture. J'ajoute qu'il ne faut pas sous-estimer la capacité de réagir et de s'adapter de l'agriculture surtout si elle bénéficie de mesures d'accompagnement.
Plutôt que de conclure des accords de libre échange agricole ne serait-il pas plus judicieux de faire avancer l'idée d'une souveraineté alimentaire sur la scène internationale?
Un accord de libre échange avec l'UE offre la possibilité de sauvegarder à terme en Suisse une agriculture productive et une industrie agroalimentaire compétitive. C'est par cette politique que nous pourrons aussi sauvegarder une certaine souveraineté alimentaire. La simple poursuite de la politique actuelle, accompagnée d'accords de libre échange avec d'autres pays inaccessibles à nos produits agricoles et un accord OMC auront pour conséquence la perte de parts au marché et par là de la souveraineté alimentaire.
Il ne faut pas se faire des illusions sur ce concept, ceux qui y voient une nouvelle possibilité pour introduire des mesure de protectionnisme aux frontières se trompent lourdement. La souveraineté alimentaire se construira à une échelle plus large que celle des frontières nationales. Nous vivrons de plus en plus dans une société des échanges régionaux de proximité. Milan Munich et Lyon appartiennent à notre proximité.
Selon votre analyse, y a-t-il une opportunité ou une chance sur la scène mondiale pour que les politiques agricole puissent se construire autrement qu'en étant asservies au principe de libre échange?
Je n'ai jamais parlé d'un libre échange à l'échelle mondiale, mais d'un accord avec l'UE. Les conditions de vie et de consommation y sont très semblables aux nôtres. Je ne prétends pas que l'agriculture suisse doit être concurrentielle avec les agricultures du Brésil, de l'Inde ou de la Nouvelle Zélande. Pourtant, Il sera toujours plus difficile d'expliquer aux citoyens consommateurs pourquoi les coûts de production suisses, de 20 % supérieurs à ceux de nos voisins, nécessitent des<\!s> prix 100 % plus élevés. Cela sans compter les paiements directs par unité de surface ou par UGB deux à trois fois plus importants.
Ceux qui sont contre les ALEA argumentent qu'il est préférable de contrôler attentivement la politique agricole nationale en limitant les dégâts avec les projets PA2011 puis 2015, n'est-ce pas là une solution plus pragmatique?
Malgré des prix plus élevés et une rémunération substantielle des prestations générales et écologiques de l'agriculture, nous comptons, d'après l'USP presque un tiers de working poors en agriculture. De parler de "limiter les dégâts" et de "voie pragmatique" dans ces conditions me semble au moins un peu étonnant. Ou bien ces chiffres sont "relatifs" et on peut continuer au le rythme actuel, ou bien ils sont corrects et il faut agir. C'est l'avis du GPAO (Groupement pour une politique agricole offensive). Nous estimons qu'il vaut mieux se montrer offensif pour être à même de défendre des conditions cadres permettant à nos jeunes paysans de retrouver des perspectives. C'est ainsi qu'il sera encore possible à l'agriculture de se faire entendre et respecter sur le plan politique.
Propos recueillis par Christian Pidoux